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Musique

Nick Cave : Les volte-face d’un Phoenix

Julie Marti | 22 novembre 2017


Genève, Lundi 13 Novembre 2017

Du goudron et des plumes volent pendant près de deux heures trente à l’Arena, où Nick Cave donne la preuve de son art ultime et singulier de la scène.

Dans un concert magistral où alternent les compositions de son dernier album « Squeleton Tree » et d’anciennes songs : «Higgs Boson Blues» « Jubilee Street » «Push the Sky Away», il nous balade aux travers de plaines immenses et contrastées dont lui seul a le secret , à l’ombre d’une vingtaines de chansons de fantômes logées dans la gorge d’une sirène.
« Ghost song lodged in the throat of a mermaid » ce vers extrait de Jesus Alone, occupe une place de choix dans cette balade à la superbe ligne de sinus, écrite dans l’obscurité de ce drame familial ayant écrasé les siens – histoire qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. La perte d’un fils, comme choc ultime, en pleine écriture de l’album Skeleton Tree plane sur nos têtes. Processus qui est d’ailleurs documenté par les images tournées par Andrew Dominik dans le récent One More Time With Feeling.
Tel un Phoenix perdu aux confins d’un royaume rugueux, le chanteur ne demeure pas emmuré par la tragédie. Aujourd’hui plus qu’hier, l’écriture se transforme en catharsis. Le temps de ce cri foudroyant : « tu es tombé du ciel », les mélodies aiguës et minimales planent, urbaines et entêtantes comme un fragile moyen de survoler la souffrance ici-bas. Depuis des années, même dans l’obscurité, Nick Cave y voit clair. Le noir est sa couleur. Elle lui permet de faire émerger les éclats de lumières de cavernes de pierres archaïques. « With my voice I am calling you », c’est ce qu’il va s’employer à faire tout au long de la soirée. Il nous appelle, nous touche, nous fait frapper dans les mains, chanter, et même monter sur scène, à la fin. Comme un prédicateur, il officie, armé de son costume favori : un complet noir cintré, une chemise blanche ouverte laissant apparaître les mouvements complexes d’un pendentif brillant. Tout au long du concert, la voix est au premier plan, elle est d’ailleurs superbement amplifiée, nous sommes suspendus à ses lèvres…
« Can you feel my heart beat ? » adresse-t-il pour entrer en communication avec la foule. Nous avons envie de lui répondre que l’on n’entend même que ça. Ce « heart beat » entouré d’histoires satellites, parfaitement accordé à la vitesse du véhicule dans lequel nous avons pris place et qui ne s’arrêtera que bien plus tard dans la nuit. Un battement de coeur qui s’amarre et pulse le centre de la pupille.
En effet, Nick Cave partage avec les très grands artistes la force d’un regard jetant le trouble. Tout au long de l’épopée, il distribue – aux premiers rangs surtout – des tête-à-tête intenses, des accolades volées et puissantes. Impossible de faire abstraction de ce lien physique qu’il offre à son public. Il ne s’agit pas ici d’un personnage politique qui serre des mains à la chaîne, mais plutôt d’un homme qui touche les siens avec grâce, sans perturber d’un iota le déroulé des paroles de sa chanson en cours. Impressionnant ! Alors qu’il serre encore la paume inconnue d’un spectateur, la seconde suivante il lui hurle presque au visage, à bout de souffle – mais ses gestes demeurent bienveillants. Ici la preuve du volte-face virtuose et insondable qui l’habite, comme si en sa demeure, gestes et les sons coexistent dans deux mondes imperméables. Souvent, il jaillit vers le piano pour un solo ultra-sensible, traversant la scène avec fluidité, arrivant à destination en dernière minute, avec une grande maîtrise du timing. Parfois il s’aventure dans la foule.Une chose est sûre, il n’est jamais vraiment seul. Notre héros a l’ADN d’un électron libre mais il gravite avec les fantômes, le public, et les Bad Seeds – ses fidèles acolytes.
A l’Arena, ses musiciens offrent un panel de couleurs luxuriantes : guitares, basse, batterie, percussion (notamment les irremplaçables cloches tubulaires) synthétiseur et the king, le piano. Des Bad Seeds, l’un d’entre eux soutient tout l’édifice instrumental. Alors que Nick Cave s’emploie à faire vibrer la foule les yeux dans les yeux en dandy versatile, Warren Ellis, lui, offre des échos sonores complexes et chamaniques. Il travail des effets d’ombres – dos au public – et habite un corps dont le contrepoint est saisissant. Sa physicalité, plus proche de celle d’un dieu-corbeau que d’un humain, est telle que notre regard se glu sur sa silhouette. Il dirige les autres musiciens de son squelette d’oiseau, et lorsqu’il déploie ses ailes, les sons jaillissent. Cela s’impose comme une évidence, s’ils sont tous plein de talent, Warren Ellis est celui qui conduit la team. Ce multi-instrumentiste auteur de bandes sons de films à succès (Mustang, L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, Des hommes sans loi…) passe du violon à la guitare, des cordes au synthétiseur avec une facilité déconcertante. Et dans ses mains, même l’instrument le plus sage devient une machine à faire frémir le métal. Lorsque son violon hurle au loup, il emporte nos songes vers quelque forêt punk et sans lune.
Ces deux-là n’ont pas besoin de se regarder car ils sont les deux rails de la même ligne de chemin de fer. Lien indéfectible, à voir la manière dont Nick Cave offre l’accolade à Warren. Avec deux conducteurs d’un tel acabit, nous avons fait un bout du Genève – the sky – Genève, témoins d’une aventure repoussant les limites du rock and roll, pour toucher un état de grâce : les volte-face d’un Phoenix.

Chronique by Alex
Radio Vostok I Publié le 22 novembre 2017
Crédit photo de une : © Nick Cave

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Une publication de Julie Marti


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